Management : les principes d’un capitaine de vaisseau
Edhec Executive a récemment organisé une conférence destinée aux dirigeants d’entreprise, pour, peut être, s’inspirer du commandement militaire. Sans cliché.
« Manager » ou « commander » ? Quand la période est difficile, la visibilité réduite et que la motivation des collaborateurs est en baisse, le dirigeant d’entreprise peut légitimement s’interroger sur la méthode à utiliser pour atteindre les objectifs fixés. Regarder ce qui se passe du côté du commandement militaire réputé efficace et difficilement compatible avec l’échec… L’idée est de Jean-Louis Raynaud, directeur de l’Advanced Management Program de l’Edhec (Executive). Dans la Marine, « on est habitué au brouillard et l’adhésion des troupes est indispensable », fait-il valoir.
En donnant la parole à un capitaine de vaisseau, commandant d’un bâtiment de projection et de commandement (BPC), la conférence « Naviguer en eaux troubles : management ou commandement, même combat ? » aura au moins eu le mérite de mettre à mal quelques clichés sur le commandement militaire. Si les eaux troubles pour un militaire peuvent être celles de la guerre _ certes aujourd’hui plus technologique et dématérialisée mais qui « demeure imprévisible, asymétrique et meurtrière » _ , le monde de l’entreprise a quelques leçons à tirer du commandement en mer, « lieu d’affrontement entre temps courts et temps long », témoigne le commandant Guillaume Goutay.
Participatif et principe de subsidiarité
« Officier de marine du 21e siècle » comme il se définit lui-même, ce dernier est un fervent partisan du « participatif » et du principe de subsidiarité. A l’exception des circonstances exceptionnelles qui imposent le secret militaire, il a pour principe de base d’informer son équipage en toute transparence. « Mon second est tenu au courant de tout », explique le capitaine de vaisseau, qui indique « quasiment tout dire à (ses) marins ». « Cela permet de donner du sens », souligne-t-il. Chaque matin sur la passerelle se tient une réunion avec la garde rapprochée _ cinq ou sept personnes_ une sorte de bref comité de direction _ au cours duquel les membres, experts et non-experts, peuvent intervenir sur l’ensemble des questions du jour. Chacun doit ensuite relayer les informations à son niveau.
Autorité légitime, responsabilité pleine et entière
En entreprise, les questionnements des managers se portent aujourd’hui plus souvent sur le rapport à l’autorité des jeunes troupes et la nature de leur engagement. Avec des « engagés », les problématiques sont autres. Mais sur le terrain, « on ne choisit pas son équipage. Il faut savoir tirer le meilleur parti de chacun et composer », explique Guillaume Goutay. Et toujours, « la mission prime ». Dans ce contexte, Guillaume Goutay donne à sa vision du commandement trois dimensions : celle du manager (conduire), celle du commandant (imposer _ « avec de nombreuses nuances » _ ) et celle du leader (inspirer). Pour commander, « il faut être investi d’une autorité légitime et en assumer la responsabilité pleine et entière de cette autorité », précise-t-il, tout en soulignant qu’ il impose « après avoir pris des avis ». Pour inspirer, faire adhérer, « il faut avoir une vision ». La rupture d’adhésion est rare mais peut survenir lorsque, au delà de trois mois en mer, on doit annoncer aux équipages, qui ont déjà commencé à projeter mentalement leur retour au bercail, un changement de cap ou un prolongement de mission. « A ce moment-là, quand vous avez rassemblé tout le monde sur le pont, on vous regarde et on boit vos paroles ». Il vaut mieux trouver les bonnes.
Tous égaux… devant le mal de mer
Les principales qualités du commandant ? « Je place l’humilité en tête de liste, explique-t-il. « En mer, nous sommes tous logés à la même enseigne et tous égaux… face à un mal de mer ». La solitude du commandement ? « La formule existe mais un commandant prend la manœuvre sous le regard de tous ». S’il y a erreur ? « Il ne s’agit pas de se dévaloriser mais de reconnaître ses limites ». Toute manœuvre donne systématiquement lieu à un débriefing. Esprit de décision et courage s’impose quand chaque manoeuvre, y compris en temps de paix, étant donné la taille du BPC, peut donner lieu à accident. Alors, « il faut accepter les risques inhérents aux décisions ». Mais comme dans l’entreprise, le commandement pur n’est possible que s’il est rare, car il signifie qu’il n’y a pas consensus. Ce n’est jamais très bon signe.
Source : Valerie Landrieu | | mis à jour